Le 8 janvier 2025, lors de la traditionnelle cérémonie des vœux du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Laurent Marcangeli, ministre de la Transformation publique, a exposé ses orientations pour l’avenir de la fonction publique territoriale. Dans un contexte marqué par une réduction des déficits publics, une rationalisation des dépenses et une pression croissante pour moderniser les services publics, le discours du ministre s’inscrit dans une réflexion plus large sur la transformation de l’administration publique.
Laurent Marcangeli a ouvert son discours en réaffirmant la place centrale des fonctionnaires territoriaux dans le bon fonctionnement des services publics locaux. Il a souligné leur rôle fondamental dans le maintien du lien social et dans la gestion des biens communs, particulièrement en période de crise économique et sociale. Cette vision s’inscrit dans la doctrine de la gouvernance locale, selon laquelle les collectivités doivent être en mesure de répondre rapidement et efficacement aux attentes des citoyens, en garantissant des services publics accessibles et de qualité.
Cependant, derrière cette déclaration de principe, une tension sous-jacente émerge : celle de l’équilibre entre modernisation des structures administratives et contrôle des dépenses publiques. Dans ce cadre, la gestion des ressources humaines, notamment des fonctionnaires territoriaux, est devenue un enjeu majeur. Le recours aux réformes néolibérales, inspirées du New Public Management (NPM), plaide pour une rationalisation des coûts, notamment à travers la gestion des effectifs, la flexibilisation des conditions de travail et la performance des agents publics. Ces principes se heurtent néanmoins aux exigences de justice sociale et de respect des droits des agents publics, qui revendiquent des conditions de travail plus dignes et une reconnaissance accrue de leur travail.
Sur le plan de la rémunération, le ministre a annoncé un plan de revalorisation salariale, dont l’objectif est de rendre la fonction publique territoriale plus attractive et de répondre à la crise de pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs clés. Cette revalorisation devrait bénéficier prioritairement aux secteurs les plus en difficulté, tels que l'éducation, la petite enfance ou les services à la personne, où les écarts salariaux entre la fonction publique et le secteur privé sont particulièrement marqués. Selon le ministre, des augmentations de salaires de 5 à 10 % sont envisagées dans ces domaines.
La question de la revalorisation salariale s’inscrit dans un débat plus large sur la justification des inégalités salariales entre secteurs publics et privés, qui se trouvent au cœur des débats sur la réforme de l’État. La théorie du New Public Management soutient que la gestion des ressources humaines doit répondre aux logiques du marché et de la performance, encourageant ainsi la compétitivité et l’efficience des services publics. Néanmoins, cette approche a ses limites, notamment en termes de reconnaissance sociale des agents et de qualité du service rendu. En ce sens, la revalorisation salariale ne doit pas seulement viser à renforcer l’attractivité de la fonction publique, mais aussi à rétablir un rapport de confiance entre les fonctionnaires et leur employeur public, à une époque où les critiques sur l'inefficacité et le gaspillage des dépenses publiques sont fréquentes.
Une des annonces les plus scrutées a porté sur la gestion des arrêts de maladie et en particulier sur le maintien des trois jours de carence, instaurés par le précédent gouvernement. Cette mesure a été critiquée par de nombreux syndicats, qui y voient une stigmatisation des fonctionnaires et un frein au bien-être des agents. Laurent Marcangeli a confirmé que cette mesure serait maintenue, tout en précisant qu'une réflexion collective serait engagée au printemps 2025 pour réévaluer la gestion des absences, en particulier celles liées aux arrêts de longue durée.
Cette décision s’inscrit dans un contexte de gestion rigoureuse des finances publiques, où les mesures de réduction des coûts s’appliquent à toutes les branches de l’administration, y compris la fonction publique. Toutefois, la question des risques psychosociaux (RPS) et de la qualité de vie au travail reste centrale. Une telle mesure pourrait paradoxalement aggraver la situation des agents publics, en augmentant le stress et en réduisant leur sentiment de sécurité au travail. Les théories sur la gestion des ressources humaines dans le secteur public plaident pour une approche plus holistique, qui prenne en compte non seulement la gestion des absences, mais aussi la prévention des risques et l’accompagnement psychologique des agents. Une réflexion globale sur l'organisation du travail et le soutien aux agents est donc nécessaire pour éviter une dérive bureaucratique trop orientée vers le contrôle et la sanction.
Une autre annonce majeure du ministre a porté sur la décentralisation de la gestion des ressources humaines. L’idée est d’offrir aux collectivités locales plus de flexibilité pour gérer les carrières et les ressources humaines en fonction de leurs besoins spécifiques. Cette réforme se veut une réponse aux particularités locales et un moyen de répondre plus efficacement aux défis des territoires.
Néanmoins, cette décentralisation soulève plusieurs questions. D’une part, elle pourrait permettre une meilleure réactivité face aux enjeux locaux, en donnant plus d'autonomie aux acteurs territoriaux. D’autre part, elle risque d’accentuer les disparités entre collectivités, notamment en matière de gestion des carrières et d’offres de services. Les écarts en termes de rémunération, de conditions de travail et de possibilités de formation pourraient ainsi se creuser. Dans cette perspective, une centralisation minimale des normes et des standards de gestion des ressources humaines semble indispensable pour garantir un certain niveau d’égalité entre les agents, quelles que soient les collectivités pour lesquelles ils travaillent.
Enfin, Laurent Marcangeli a évoqué l’extension du télétravail aux agents publics des services administratifs, en réponse aux nouvelles attentes en matière de flexibilité au travail. Cette décision s’inscrit dans un mouvement plus large de modernisation numérique des services publics, qui vise à offrir un cadre de travail plus adapté aux évolutions sociales et technologiques.
Le télétravail, en tant qu’outil d’organisation du travail, n’est pas uniquement un moyen de répondre à la demande de flexibilité des agents, mais aussi un moyen de rationaliser l’organisation du travail, de réduire les coûts liés à l’immobilier et d’augmenter la productivité des agents. Toutefois, cette transformation numérique doit être accompagnée d’une réflexion sur la qualité du service rendu aux usagers. À cet égard, la simplification des démarches administratives et l’automatisation des processus sont des leviers puissants pour moderniser la fonction publique tout en réduisant la charge administrative pour les agents.
Les annonces faites par Laurent Marcangeli lors des vœux du CSFPT du 8 janvier 2025 marquent une étape clé dans la réforme de la fonction publique territoriale. Elles témoignent d’une volonté d’allier modernisation, flexibilité et soutien aux agents, mais les défis demeurent. La réussite de ces réformes dépendra de leur capacité à répondre aux besoins des agents tout en garantissant une gestion rigoureuse des finances publiques locales. Le ministre a annoncé une réévaluation continue des mesures proposées, ce qui laisse entrevoir des ajustements nécessaires en fonction des retours des fonctionnaires et des syndicats. Si la réforme semble avoir pour objectif d’équilibrer les impératifs d’efficacité et de justice sociale, il sera crucial de suivre de près son application, notamment en ce qui concerne la gestion des absences, la décentralisation des ressources humaines et la mise en place du télétravail, pour assurer une fonction publique territoriale moderne, efficace et respectueuse des droits des agents.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
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