Une nouvelle tendance jurisprudentielle semble se dégager dans ce domaine vers plus de fermeté : le juge tend ainsi à valider davantage les sanctions infligées aux agents, dès lors que leur attitude est jugée peu conforme à l’esprit du service public. La portée des obligations mises à la charge des fonctionnaires tendrait ainsi à s’accroître… Mais avant d’en venir à quelques exemples jurisprudentiels, faisons un petit point juridique préalable sur la question.
Tout d’abord, le premier constat que l’on peut faire est qu’il existe peu de textes législatifs et réglementaires détaillant les obligations professionnelles des agents publics. Les articles 25 à 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général commun aux trois fonctions publiques soulignent certaines obligations :
- l'incompatibilité avec les activités privées et l'obligation de désintéressement,
- l'obligation de discrétion professionnelle,
- l’obligation de satisfaire aux demandes d'information du public dans le respect du secret professionnel et de la discrétion professionnelle,
- la responsabilité d'exécuter les tâches qui lui sont confiées et l'obligation de " se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ".
Mais au-delà de l’énoncé de ces principes, c'est essentiellement la jurisprudence administrative qui a fixé les grandes orientations. La notion de déontologie revient ainsi de plus en plus lorsqu’il s’agit d’apprécier le comportement des agents publics, mais son contenu – c’est-à-dire la portée des obligations mises à la charge des agents- n’est précisé et détaillé par aucun texte. Comment s’appréhende alors l’attitude des agents publics ?
Les obligations professionnelles des agents publics se rattachent à deux finalités : garantir l'aptitude du service à assurer sa mission, et garantir un lien de confiance entre le service et l'usager. C'est ici sans doute que la déontologie se situe. C’est lorsqu’il y a menace à l’une de ces finalités, qu’il y aura lieu à l’engagement de poursuites disciplinaires et au prononcé de sanctions validé par le juge.
C’est en tous cas ce qui semble ressortir des exemples jurisprudentiels récents, qui montrent que l’agent ne doit pas seulement être compétant dans son travail, mais doit également avoir une attitude professionnelle à même de garantir et de préserver une bonne ambiance de travail :
- une sanction infligée à un agent qui n’a pas fait preuve d’une courtoisie suffisante envers sa hiérarchie est ainsi validée par le juge administratif : CE 8 juin 2005, n°271538, sur un fonctionnaire qui n’avait pas informé suffisamment à l’avance ses supérieurs de sa réussite à un concours ;
- CE 30 août 2006, n°284464, sur un agent rétrogradé du fait de son comportement agressif ayant notamment tenu des propos désobligeants de manière réitérée à ses subordonnés et à ses supérieurs hiérarchiques
- CE 15 juin 2005, n°259743, sur un agent déplacé d’office après avoir tenu des propos injurieux et outranciers envers sa hiérarchie.
A l’heure actuelle où la logique de l’administration et du service public est tournée vers la quête de l’efficacité et de la performance, ce positionnement de la jurisprudence n’est pas très surprenant. Il paraît assez cohérent que la professionnalisation des agents publics se traduise par une exigence renforcée quant à leur prestation.
Heureusement pour nous – faut-il le rappeler ? les principes qui encadrent l’exercice des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un agent sont eux assez nombreux et assez précis (principe de légalité des sanctions disciplinaires, charge de la preuve incombant à l’auteur des poursuites, droit à la communication de son dossier pour l’agent poursuivi, consultation du conseil de discipline pour le cas des agents titulaires, caractère contradictoire de la procédure, obligation de motiver la décision de sanction disciplinaire etc.)
Ironiquement, là où il y aurait davantage place pour une certaine inquiétude est lorsqu’on se situe en dehors des poursuites disciplinaires. En effet, ces garanties offertes au fonctionnaire ne sont appelées à jouer que lorsqu’on se trouve effectivement dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Les mesures préparatoires, ou des mesures individuelles même défavorables ne sont pas nécessairement des sanctions stricto sensu, et dès lors les règles protectrices de la procédure disciplinaire ne trouvent pas à s’appliquer.
Pour illustration, c’est ainsi que la suspension temporaire d’un fonctionnaire ne constitue que le préalable à une sanction éventuelle et n’a donc pas à respecter les obligations de motivation ou du contradictoire (CAA Nancy, 1er juin 2006, Commune de Carignan). De même, la suppression ou la diminution d’une prime de fin d’année ne constitue pas une sanction disciplinaire et n’a donc pas à respecter l’obligation de communication préalable de son dossier à l’agent concerné (CE 8 mars 2006, n°262129).
Ainsi, la tendance actuelle consiste semble-t-il, à faire prévaloir plus volontiers l’intérêt de la collectivité sur les droits reconnus aux fonctionnaires par leur statut. Une meilleure lisibilité de la politique disciplinaire des agents publics n’en devient que plus souhaitable. Il ne s’agit plus seulement d’achever de dissiper – pour les citoyens- les rumeurs sur la prétendue impunité des fonctionnaires, mais il s’agit aussi de pouvoir identifier – pour les agents cette fois- les critères retenus par les autorités pour engager ou non les poursuites. Sur ce point en effet, la large marge d’appréciation laissée à la collectivité (qui décide de l’opportunité des poursuites), ne laisse sans doute pas, d’une collectivité à l’autre, les fonctionnaires sur un même pied d’égalité.
Source Adialo/Mme RODES