Philippe LAURENT
Maire de Sceaux
Secrétaire général de l’Association des maires de France
Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale
Un décret, qui vient tout juste de paraître au Journal officiel, fixe de nouvelles règles pour la composition du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT). Il s’agit d’appliquer la loi du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Cette loi, au chapitre de « l’exemplarité des employeurs publics », vise améliorer la parité dans les différents organismes de la fonction publique territoriale. Etes-vous satisfait de cette réforme ?
Ce décret n’est pas une surprise, car j’ai été associé à la préparation de ce texte par le cabinet de la Ministre et la DGAFP et le CSFPT a été amené à en débattre et à se prononcer, en émettant un avis favorable. Je pense que les institutions paritaires doivent être exemplaires et qu’il n’y a pas de raison pour ne pas respecter ces règles, qui s’appliqueront après le prochain renouvellement. L’exemplarité touche tous les domaines : le respect des règles de droit, la parité, l’assiduité, le respect du dialogue. S’agissant des nouvelles règles concernant la parité, le CSFPT les applique de fait déjà en grande partie.
Quinze ans après l'entrée en vigueur de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique (ARTT), vous avez remis cette année au Gouvernement un rapport sur le temps de travail. Il y est notamment recensé les pratiques existantes au sein des trois versants de la fonction publique et les enjeux soulevés par l'organisation actuelle du temps de travail dans le secteur public. Que pouvez-vous nous en dire ?
Il était normal qu’enfin un bilan, un état des lieux sur cette question soit fait, avec recul, objectivité et une certaine exhaustivité. Trop de discours politiques ont traité ce sujet sans véritable base statistique. Le travail réalisé avec l’appui de quatre inspections générales relève ce défi : dresser un inventaire des situations dans les trois fonctions publiques en s’appuyant sur une vaste documentation et de nombreux entretiens, sur un questionnaire envoyé à de très nombreuses administrations. Le constat est clair : les fonctionnaires travaillent – et souvent plus qu’on ne le croit – car ce sont eux qui travaillent le plus le week-end et la nuit et ont de nombreuses astreintes et contraintes. La diversité des métiers, les exigences liées à la continuité du service public expliquent souvent les exceptions qui font qu’ils disposent de RTT.
Il y a, évidemment, il eut été inconséquent de ne point le voir, des dérives, des abus et des inerties essentiellement dus au fait que le réforme du temps de travail du début des années 2000 n’a pas été négociée dans le secteur public comme elle a pu l’être dans le privé, où cette évolution a été l’occasion d’une réflexion plus globale sur l’organisation du travail et le management. Dans le secteur public, sauf exception, le nouveau dispositif a été plaqué sur les organisations existantes. On a pu voir les effets négatifs de cela dans les hôpitaux.
Par ailleurs, il ne faut pas avoir du temps de travail une vision individuelle et mécanique, l’approche collective est de plus en plus nécessaire d’autant que le contexte et les modes d’organisation (télétravail, numérisation,…) transforment le rapport au temps et les liens privé/public.
Les 34 préconisations du rapport visent donc essentiellement à mettre de l’objectivité, de l’égalité et de la transparence dans les administrations : nécessité de renforcer la connaissance statistique du sujet, normalisation et homogénéisation de certains systèmes (comme les autorisations spéciales d’absence), obligation de débat sur ce sujet, évaluation régulière des chartes du temps de travail…
La ministre de la Fonction publique a ouvert une concertation pour engager les réformes législatives et réglementaires nécessaires. Mais de fait, nombre de ces préconisations concernent le management et la responsabilité des employeurs.
Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) a également adopté le 6 juillet 2016 un "livre blanc" de la fonction publique territoriale. Ce document dresse un panorama des grandes questions qui se posent aujourd'hui aux agents et aux employeurs publics. Mais à l'heure où l'existence même de la fonction publique territoriale est remise en cause par certains, pensez-vous toujours que les choix significatifs qu'il préconise favoriseront la modernisation de cette fonction publique de proximité ?
Qui remet en question la fonction publique territoriale ? Avez-vous vu un élu local dire cela sérieusement. A-t-on fait une évaluation complète – et notamment financière - de cette éventuelle suppression ?
Non, je crois que, plus modestement et plus sérieusement, le CSFPT a proposé, élus locaux et organisations syndicales d’accord sur ce point, de fixer les principaux sujets à considérer, à réformer dans les années à venir : c’est le cas de la protection sociale complémentaire, du maintien dans l’emploi, de l’évolution des recrutements, de la gestion des listes d’aptitude. Autant de sujets dont on ne saurait faire l’économie si l’on veut un service public dynamique et adapté aux évolutions des compétences des collectivités territoriales et de l’organisation institutionnelle du pays.
Il ne s’agit pas de faire du sensationnel, mais de réfléchir objectivement aux évolutions nécessaires de la FPT dans un contexte que l’on sait complexe et mouvant.
D’ailleurs, au CSFPT nous sommes bien placés pour savoir que sans cesse la FPT a été réformée, adaptée, simplifiée.
L'un des autres enseignements à retenir de ce rapport en terme d'organisation est qu'il sera nécessaire de réexaminer les pratiques managériales dans le service public (la faiblesse du management intermédiaire dans l’administration y est relevé). Tout un défi, quant on sait que les usages actuels laissent aux managers une souplesse nécessaire à la vie quotidienne dans les services, qu'il sera difficile de remettre en cause. Pensez-vous cet objectif réaliste alors que jusqu'à ce jour, aucune boîte à outils sur l’application du temps de travail à 35 h n'a été proposée aux employeurs publics ?
La formation des managers de proximité est un sujet important, car les collectités sont des organisations de proximité et de main d'oeuvre. A la suite du rapport sur le temps de travail, l’AMF propose d’ailleurs de réaliser un guide des bonnes pratiques qui pourrait effectivement être conçu comme une « boîte à outils » pour les décideurs locaux, quel que soit leur niveau d’intervention. Je souhaite que les autres associations d’élus puissent également participer à ce guide. Si ce rapport a fait prendre conscience par tous que le temps de travail n’est pas un élément périphérique mais un aspect essentiel de l’organisation et du management, il aura atteint son objectif. Très sincèrement, compte tenu des retours dont j’ai connaissance, de la « prise en main » du rapport par les collectivités elles-mêmes (employeurs et organisations syndicales ensemble, sur le terrain), je pense que c’est le cas.
Souhaitez-vous adresser un mot supplémentaire aux lecteurs de www.naudrh.com ?
Je voudrais insister, comme je l’ai déjà fait à plusieurs reprises, sur le rôle croissant de la gestion des ressources humaines dans le contexte territorial actuel. La restructuration permanente des territoires, les contraintes financières, les exigences de qualité de la part du public, les nouvelles technologies, nécessitent des personnels de mieux en mieux formés. De ce fait la qualité du service public est plus que jamais une affaire de qualité des agents. Désormais, la quantité ne pourra y suppléer. C’est une responsabilité encore plus grande pour les DRH, mais c’est aussi une responsabilité pour les employeurs locaux, les élus.
Les prochaines années vont nécessiter un investissement qualitatif et humain très important, il est essentiel et impératif que tous les décideurs locaux s’y préparent.
Pascal NAUD, président de www.naudrh.com,
membre du bureau de l'Association Nationale des DRH de Territoire,
remercie chaleureusement M. Philippe Laurent pour cette entrevue.
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