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Depuis plusieurs années, des collectivités territoriales se sont engagées dans des politiques innovantes en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, notamment en instaurant des autorisations spéciales d’absence (ASA) ou des congés exceptionnels pour la santé menstruelle. Cependant, ces dispositifs font face à une opposition croissante de l’État, les préfectures exerçant un contrôle de légalité strict et déférant systématiquement ces décisions devant les tribunaux administratifs.
Un cadre légal incertain
L’ASA pour santé menstruelle n’est pas prévue par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 portant transformation de la fonction publique. Un décret d’application était pourtant attendu pour préciser les catégories d'ASA applicables, mais celui-ci n’a jamais été publié. Cette absence de cadre réglementaire laisse place à une interprétation restrictive de l’État, qui considère que ces autorisations créent une rupture d’égalité entre les différents versants de la fonction publique et remettent en cause l'application du principe des 1 607 heures annuelles.
Une opposition systématique du contrôle de légalité
Les préfectures ont multiplié les contrôles de légalité et défèrent systématiquement les décisions locales accordant des congés exceptionnels pour raisons menstruelles ou allongeant la durée du congé paternité. Les motifs avancés par l’État reposent sur plusieurs arguments juridiques :
-Rupture d'égalité entre agents de la fonction publique : ces dispositifs créent une inégalité avec les fonctionnaires d’autres versants (fonction publique d’État et hospitalière) qui n’en bénéficient pas.
-Non-respect des 1 607 heures annuelles : l’ASA menstruelle et l’allongement des congés parentaux sont perçus comme une entorse au cadre réglementaire de la durée du travail.
-Absence de base légale claire : en l’absence d’un décret d'application, ces initiatives sont jugées contraires aux textes existants.
Un contentieux récent en Isère
Un des derniers contentieux en date illustre bien cette tendance : fin 2024 et début 2025, la préfecture de l'Isère a déféré devant le Tribunal administratif de Grenoble la décision de la mairie et de la métropole de Grenoble d'accorder un congé supplémentaire pour le deuxième parent. La préfecture estime que cette mesure crée une inégalité avec les autres agents territoriaux et contrevient aux règles fixées au niveau national.
Autres contentieux relatifs aux ASA menstruelles
D'autres collectivités ont également fait face à des déférés préfectoraux pour avoir mis en place des ASA pour la santé menstruelle :
- Commune de Plaisance-du-Touch, le CCAS de la commune et la communauté de communes du Grand ouest toulousain (2024) : la commune, notamment, a délibéré le 30 avril 2024 pour octroyer une ASA pour les agentes « souffrant de règles douloureuses, d’endométriose, d’adénomyose ou de dysménorrhées ». Le préfet de la Haute-Garonne a attaqué cette délibération devant le tribunal administratif.
- Ville de Lyon (2023) : un dispositif similaire a été annulé par le Tribunal administratif après un recours de la préfecture du Rhône
- Région Occitanie (2023) : la préfecture a demandé le retrait d'une mesure prévoyant un jour de congé mensuel pour les salariées souffrant de règles douloureuses.
Perspectives et enjeux
Face à ces blocages, les collectivités se retrouvent dans une situation d'incertitude juridique, ce qui complique la gestion des ressources humaines et la planification des politiques d'égalité. Les agents concernés, quant à eux, subissent une inégalité d'accès à ces dispositifs selon leur collectivité d'affectation, ce qui alimente un sentiment d'injustice et d'incohérence au sein de la fonction publique territoriale. L’absence d'un décret clarifiant les ASA accentue la fragilité des initiatives locales en matière d'égalité femmes-hommes. Pour sortir de cette impasse, plusieurs options pourraient être envisagées :
-Une modification législative précisant la possibilité d'accorder ces congés au sein de la fonction publique territoriale.
-Une harmonisation des règles entre les trois versants de la fonction publique afin d'éviter les ruptures d'égalité.
-Une reconnaissance officielle de la santé menstruelle comme une question de santé publique légitimant ces ASA, à l'instar de l'Espagne qui a récemment adopté une législation accordant des congés menstruels aux salariées souffrant de règles douloureuses, ou encore du Japon et de la Corée du Sud où de tels dispositifs existent depuis plusieurs décennies.
En l’état actuel, les initiatives locales sont systématiquement freinées par le contrôle de légalité, et les collectivités sont confrontées à un dilemme entre innovation sociale et respect strict du cadre réglementaire. Le débat reste ouvert, mais tant que l'État ne précise pas sa position, les avancées en matière d'égalité professionnelle resteront freinées par un droit rigide et inadapté aux réalités sociales contemporaines. Cependant, des pistes de dialogue entre les collectivités territoriales, les représentants de l'État et les organisations syndicales pourraient permettre de faire émerger des solutions adaptées. Une évolution législative, appuyée par une expérimentation sur certains territoires, pourrait offrir un cadre plus souple et mieux adapté aux enjeux actuels.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
Contact naudrhexpertise@gmail.com