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Depuis quelques années, certaines collectivités territoriales françaises ont initié des réflexions autour du congé menstruel, une mesure déjà mise en œuvre dans plusieurs pays tels que le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie, Taïwan, la Zambie ou l’Espagne. Cette mesure consiste à permettre aux agentes de bénéficier de jours d’absences lorsqu’elles souffrent de douleurs menstruelles invalidantes. Pourtant, malgré ses bonnes intentions, cette initiative soulève de nombreux défis sur les plans juridique, social et éthique.
Parmi les premières à tester cette mesure, on trouve la ville de Grenoble, la mairie de Saint-Ouen, la métropole de Lyon et le département de la Seine-Saint-Denis. Chaque collectivité a adapté le dispositif selon son propre contexte : certains optent pour des jours d'absence justifiés par une simple attestation médicale, d’autres choisissent l'auto-déclaration sans justificatif, limitant parfois le nombre de jours d'absence par an.
Les retours d’expérience sont partagés : d’un côté, des résultats positifs tels qu’une meilleure reconnaissance des douleurs menstruelles, une diminution de l’absentéisme non anticipé, ainsi qu’une ouverture progressive sur un sujet encore souvent tabou. De l’autre côté, des inquiétudes se font entendre concernant la stigmatisation des femmes, des risques de surprotection, et des difficultés d'application dans les petites structures, sans oublier l'insécurité juridique.
Il est donc important de souligner qu'après cette première phase d'expérimentation, les collectivités ont dû faire face à un certain nombre de défis qui vont au-delà des bénéfices apparents.
Le principal frein à la généralisation du congé menstruel dans la fonction publique territoriale réside dans l’incertitude juridique. En 2019, la loi de transformation de la fonction publique a supprimé les régimes dérogatoires à la durée du travail de 35 heures, interdisant ainsi la création de nouvelles autorisations spéciales d’absence (ASA). Or, le congé menstruel étant perçu comme une nouvelle forme d'ASA, plusieurs initiatives ont été retoquées par les juridictions administratives, faute de base législative claire.
Cette réforme législative est particulièrement importante car elle a modifié l’équilibre entre les droits des agents et les prérogatives des employeurs publics locaux. Dans ce cadre, il devient particulièrement difficile d’introduire un congé menstruel en dehors des dispositifs déjà existants.
Certaines collectivités ont tenté de contourner cet obstacle en proposant des aménagements de postes ou en facilitant le recours au télétravail, sans faire appel à une autorisation d'absence spécifique. Cependant, ces solutions restent limitées, et la question de la sécurité juridique reste un enjeu majeur pour les professionnels RH.
La mise en place du congé menstruel soulève plusieurs questions fondamentales :
- Est-ce une mesure de santé publique ? Les douleurs menstruelles peuvent être invalidantes et, pour certaines femmes, altérer considérablement leur qualité de vie au travail. Le congé menstruel pourrait être une reconnaissance de cette réalité et un soutien en matière de santé au travail.
- Est-ce bénéfique pour l’égalité professionnelle entre femmes et hommes ? La question de l’égalité est centrale. Certains craignent que cette mesure marque une différence de traitement trop visible, renforçant les stéréotypes sur les femmes. D'autres estiment qu’il s’agit d’une avancée, qui permet enfin de prendre en compte les besoins spécifiques des femmes sans les discriminer.
- Le congé menstruel : un tabou qui se lève ? Si le sujet des menstruations reste un tabou dans beaucoup de milieux professionnels, la mise en place de ce congé pourrait offrir une occasion unique de lever le voile sur les problématiques de santé féminine et de favoriser une discussion plus ouverte sur la qualité de vie au travail.
- Une fausse bonne idée ? Bien que la mesure puisse être vue comme une avancée sociale, elle n’est pas sans risques. Si elle est mal appliquée ou mal perçue, elle pourrait accentuer les tensions internes et nuire à l'égalité professionnelle, en particulier si elle devient une source de différenciation entre les sexes au sein de l’organisation.
Pour que le congé menstruel soit effectivement bénéfique, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Une concertation préalable avec les partenaires sociaux et les services de santé au travail pour définir des modalités claires et adaptées.
- Un cadre clair et non stigmatisant, respectant la confidentialité et offrant aux agentes une certaine flexibilité (auto-déclaration, pas de justificatif médical intrusif).
- Une intégration dans une politique de santé au travail plus large, prenant en compte les besoins spécifiques des salariés sans les isoler ou les marginaliser.
- Une vigilance juridique, pour s’assurer que la mise en œuvre de ce congé respecte les exigences légales et n’entraîne pas de contentieux avec les autorités compétentes.
Actuellement, le congé menstruel ne peut être instauré que dans des formes très encadrées et avec une vigilance juridique constante. Toutefois, il pourrait devenir un levier important pour améliorer la qualité de vie au travail et favoriser l'égalité professionnelle, à condition de le traiter dans une logique inclusive et préventive.
Avis www.naudrh.com : le congé menstruel est une initiative audacieuse et nécessaire, mais sa mise en place demande une réforme législative claire. En attendant, les DRH peuvent expérimenter d’autres solutions, telles que le télétravail ou des aménagements d’horaires, pour amorcer ce changement culturel indispensable.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
Contact naudrhexpertise@gmail.com
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