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Avez-vous déjà remarqué que certains de vos agents semblent épuisés sans raison apparente ? Qu'ils accumulent les arrêts maladie ou manifestent des baisses d'attention ? Il y a peut-être une explication que vous n'avez pas envisagée : ils sont probablement des aidants familiaux.
Cette réalité touche massivement nos effectifs territoriaux. Aujourd'hui en France, 9,3 millions de personnes accompagnent régulièrement un proche en situation de handicap ou de perte d'autonomie. Parmi elles, 4,5 millions exercent une activité professionnelle. Cela représente concrètement un agent sur cinq dans vos services.
Le phénomène s'intensifie avec l'âge : entre 55 et 64 ans, une personne sur quatre devient aidante. Or cette tranche d'âge constitue l'épine dorsale de nombreuses collectivités, regroupant vos agents les plus expérimentés. Avec 14,7 millions de personnes de 65 ans ou plus en 2024 - soit 22 % de la population française - cette proportion ne fera que croître.
Face à ce défi démographique majeur, comment transformer cette contrainte en opportunité ? Comment accompagner efficacement vos agents aidants tout en préservant la qualité du service public ? C’est tout l’enjeu de cette nouvelle approche des ressources humaines territoriales.
I. Comprendre et maîtriser le nouveau cadre réglementaire
Des droits enfin reconnus et simplifiés
Le législateur a considérablement fait évoluer l'arsenal juridique ces dernières années. Désormais, vos agents aidants bénéficient de droits renforcés qu'il est essentiel de connaître pour mieux les accompagner.
Le congé de proche aidant : un droit élargi
Le congé de proche aidant, codifié par le décret du 8 décembre 2020, permet à vos agents de suspendre temporairement leur activité ou de passer à temps partiel. Mais attention : une évolution majeure intervenue en août 2023 change la donne. Fini l'exigence de "gravité particulière" de l'état de santé du proche ! Il suffit désormais qu'il ait besoin d'une "aide régulière". Concrètement, cela signifie qu'un agent accompagnant un parent diabétique nécessitant une surveillance quotidienne peut désormais prétendre au congé, alors qu'il en était exclu auparavant. Cette simplification va mécaniquement augmenter le nombre de demandes dans vos services.
L'allocation journalière : un dispositif amélioré en 2025
Nouveauté importante depuis janvier 2025 : vos agents peuvent désormais bénéficier de 66 jours d'indemnisation pour chaque proche aidé, et non plus 66 jours en tout sur leur carrière. Un agent accompagnant successivement un parent puis un conjoint peut ainsi totaliser 132 jours indemnisés, dans la limite de 264 jours sur l'ensemble de sa carrière. Cette évolution reconnaît enfin la réalité des parcours d'aide, souvent rythmés par plusieurs épisodes familiaux tout au long de la vie professionnelle.
Le télétravail : votre atout maître pour la conciliation
Le télétravail s'impose comme l'outil de conciliation par excellence. Depuis juillet 2023, vous devez motiver tout refus de télétravail formulé par un agent aidant. Cette obligation, qui ne concernait auparavant que les aidants de personnes âgées, s'étend désormais à tous les aidants familiaux.
Repenser vos chartes de télétravail
Cette évolution vous impose de réviser vos chartes de télétravail. Elles doivent désormais prévoir clairement « les modalités d'accès des salariés aidants à une organisation en télétravail ». Ne vous contentez pas d'une mention générique : détaillez les procédures simplifiées, les délais raccourcis, les possibilités d'aménagement des plages horaires. Pensez également aux dérogations possibles : un agent aidant peut télétravailler plus de trois jours par semaine si sa situation l'exige. Cette souplesse, encadrée par l'accord de 2021 sur le télétravail dans la fonction publique, vous permet d'adapter finement l'organisation du travail aux contraintes familiales.
Les limites à anticiper
Malgré ces avancées, des écueils persistants qu'il vous faut anticiper. Le congé de proche aidant n'est pas rémunéré par votre collectivité. Seule l'allocation journalière de 60,14 euros par jour compense partiellement la perte de revenus. Pour un agent de catégorie C, cela peut représenter une baisse de revenus de 30 à 40 %. Cette réalité financière explique en partie pourquoi vos agents hésitent à utiliser ces dispositifs. D'où l'importance de développer des solutions complémentaires adaptées à vos moyens et à votre contexte territorial.
II. Passer de l'ignorance à l'action : diagnostiquer et agir
La face cachée de vos effectifs
Commençons par un constat troublant : seulement 26 % des salariés aidants informent leur employeur de leur situation. Autrement dit, trois quarts de vos agents vous aidant sont inconnus. Cette invisibilité massive s'explique par plusieurs facteurs que vous pouvez corriger.
Le déficit d'information, un frein majeur
81 % des salariés non-aidants et 65 % des aidants se déclarent mal informés sur leurs droits. Cette méconnaissance génère de l'appréhension : vos agents craignent les répercussions professionnelles d'un aveu de fragilité familiale. Ils redoutent également les lourdeurs administratives ou ignorent simplement l'existence des dispositifs d'aide.
Les signaux d'alerte à repérer
Identifiant du commentaire ces agents invisibles ? Certains indicateurs peuvent vous alerter. Un aidant actif s'arrête en moyenne 16 jours de plus par un collègue non-aidant. 54 % se disent épuisés, 31 % déclarent des baisses de vigilance, 49 % se disent plus stressés que la moyenne. Ces signaux, souvent attribués à d'autres causes, révèlent fréquemment une situation d'aide non déclarée. D'où l'importance de vos anciens managers à repérer ces signaux et à aborder le sujet avec bienveillance.
Construisez votre stratégie d'accompagnement
Face à ce diagnostic, comment construire une approche efficace ? L'expérience des collectivités pionnières révèle trois leviers d'action complémentaires.
Premier levier : la flexibilité organisationnelle
La flexibilité temporelle constitue votre première réponse. Au-delà du télétravail, explorez les horaires variables, le passage facile à temps partiel, les comptes épargne-temps bonifiés. Certaines collectivités expérimentent des "banques du temps" permettant de capitaliser des heures supplémentaires pour les utiliser lors d'épisodes d'aide intensive. La ville de Grenoble a ainsi mis en place un crédit d'heures spécifique pour les agents aidants, leur permettant de s'absenter ponctuellement sans perte de rémunération pour accompagner un proche dans des rendez-vous médicaux.
Deuxième levier : la solidarité collective
Développez la solidarité entre agents par l'extension du don de jours de congés. Ce dispositif, initialement prévu pour les parents d'enfants gravement malades, peut être élargi aux situations d'aide par accord local. Il crée une mutualisation des droits particulièrement appréciée par vos équipes. Le département de l'Isère a généralisé ce dispositif en 2023, permettant à plus de 150 agents de bénéficier de jours supplémentaires grâce à la générosité de leurs collègues.
Troisième levier : l'accompagnement personnalisé
Mobilisez vos services sociaux comme interfaces privilégiées. Ces professionnels orientent vers les aides existantes, accompagnent les démarches, préviennent l'épuisement. Leur intervention brise l'isolement des aidants et optimise l'efficacité des dispositifs publics. Certaines collectivités créent même des "référents aidants" au sein de leurs services RH, facilitant l'accès à l'information et personnalisant l'accompagnement selon les situations.
Innover par l'approche territoriale intégrée
Les collectivités les plus innovantes ont développé une vision systémique combinant politique RH interne et action publique locale. Cette approche démultiplie l'impact des mesures individuelles.
Créer des synergies avec l'écosystème local
Nouez des partenariats avec vos CCAS, vos EHPAD, vos services d'aide à domicile. Ces collaborations permettent à vos agents d'accéder plus facilement aux solutions de répit ou d'aide professionnelle pour leurs proches. La métropole de Lyon a ainsi créé une plateforme unique d'information et d'orientation bénéficiant à la fois aux administrés et aux agents de la collectivité.
Exploiter les solutions technologiques
La téléassistance représente un investissement particulièrement rentable. En sécurisant le proche aidé sans solliciter constamment l'agent aidant, elle réduit significativement le stress et les interruptions de travail. Certaines collectivités négocient des tarifs préférentiels pour leurs agents ou intègrent cette prestation dans leur offre de services sociaux.
Expérimenter le baluchonnage
Certaines collectivités expérimentent le "baluchonnage", technique québécoise consistant en un relais de l'aidant par un professionnel sur 6 jours consécutifs. Bien qu'encore marginal, ce dispositif offre un répit organisé particulièrement apprécié lors des périodes de forte tension familiale.
Surmonter les résistances et les obstacles
La généralisation de ces bonnes pratiques se heurte à plusieurs défis qu'il vous faut anticiper.
L'obstacle budgétaire
Le coût de l’accompagnement renforcé inquiète légitimement les gestionnaires. Pourtant, les retours d'expérience démontrent une rentabilité à moyen terme : réduction de l'absentéisme, de la motivation, diminution du chiffre d'affaires. La clé réside dans une approche progressive et ciblée, commençant par les mesures les moins coûteuses.
La résistance culturelle
Certains managers peinent à accepter la porosité entre sphères privées et professionnelles. Cette résistance nécessite un accompagnement au changement et une formation spécifique aux enjeux de l'aide. Sensibilisez vos encadrants en leur rappelant que 20 % de leurs agents sont potentiellement concernés.
L'hétérogénéité territoriale
Les solutions urbaines ne s'adaptent pas automatiquement aux territoires ruraux, où les ressources professionnelles sont plus rares mais les solidarités familiales plus structurées. Adaptez vos appareils aux spécificités locales en vous appuyant sur les réseaux existants.
Faire de l'aide un atout
L'accompagnement des agents aidants transforme fondamentalement votre approche des ressources humaines. Il ne s'agit plus seulement de gérer des contraintes individuelles, mais de repenser l'organisation du travail à l'aune des nouveaux enjeux sociétaux. Cette évolution impose un changement de regard. Vos agents aidants ne constituent pas une charge mais une ressource. Ils développent des compétences précieuses : organisation, empathie, gestion de la complexité, capacité d'adaptation. Ces aptitudes, forgées dans l'adversité familiale, enrichissent vos équipes et améliorent la qualité du service public.
Votre feuille de route en trois étapes
Commencez par diagnostiquer l’ampleur du phénomène dans vos services par une enquête anonyme. Formez ensuite vos managers aux signaux d'alerte et aux techniques d'accompagnement. Développez enfin progressivement votre offre de services, en privilégiant les mesures à faible coût mais fort impact.
L'enjeu de l'attractivité
À terme, les collectivités pionnières dans l'accompagnement des aidants disposeront d'un avantage compétitif décisif en matière d'attractivité employeur. Dans un contexte de raréfaction des candidatures et de concurrence accumulée avec le secteur privé, cette dimension différenciante peut s'avérer déterminante.
Plus fondamentalement, accompagner vos agents aidants incarnent pleinement votre mission de service public. En conciliant efficacité administrative et solidarité humaine, vous démontrez que l'action publique territoriale sait s'adapter aux défis de notre époque tout en préservant ses valeurs essentielles.
L'aide n'est plus un sujet périphérique de votre politique RH : elle en devient progressivement le cœur. Anticipez cette évolution pour en faire un levier de modernisation et de rayonnement de votre collectivité.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
Contact naudrhexpertise@gmail.com
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