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La protection sociale complémentaire représente aujourd'hui un enjeu crucial pour l'attractivité de la fonction publique, alors que 73% des agents publics la considèrent comme un critère déterminant dans leur choix de carrière selon le baromètre IFOP 2024. Le décret n° 2025-466 du 27 mai 2025 relatif à l'adhésion obligatoire au contrat collectif de prévoyance marque l'aboutissement d'un processus de modernisation sociale initié il y a six ans. Cette réforme s'inscrit dans la continuité de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et de l'ordonnance n° 2021-175 du 17 février 2021, qui avaient posé les jalons juridiques de cette évolution.
Pour comprendre l'ampleur de ce changement, rappelons qu'actuellement, seuls 42% des agents de l'État bénéficient d'une couverture prévoyance, contre 84% dans le secteur privé. Ce décret, qui transpose l'accord interministériel signé en novembre 2024 après dix-huit mois de négociations intenses, vise à combler ce retard historique. Pour les directions des ressources humaines, cette réforme représente le plus important chantier social depuis la mise en œuvre du RIFSEEP, avec près de 2,5 millions d'agents concernés à terme.
Le décret institue une couverture véritablement universelle, englobant l'ensemble des 2,5 millions d'agents de l'État : 1,9 million de fonctionnaires civils, 400 000 contractuels et 200 000 ouvriers d'État. Cette approche inclusive rompt avec la logique de silo qui prévalait jusqu'alors, où chaque ministère négociait ses propres accords avec des niveaux de garanties disparates. À titre d'exemple, alors que les agents du ministère de l'Économie bénéficiaient d'une participation employeur moyenne de 15 euros mensuels, ceux de l'Éducation nationale ne percevaient que 5 euros, créant des inégalités difficilement justifiables.
Pour les DRH, cette uniformisation présente des avantages opérationnels considérables. Prenons le cas concret d'un agent muté du ministère de la Justice vers celui de la Culture : auparavant, cette mobilité impliquait une rupture de couverture, des démarches administratives complexes et parfois une période de carence. Désormais, la continuité des droits est garantie, facilitant ainsi les mobilités inter-ministérielles qui concernent chaque année environ 45 000 agents. Cette simplification s'accompagne d'économies d'échelle substantielles : les projections du ministère de la Transformation publique tablent sur une réduction de 30% des coûts de gestion administrative grâce à la mutualisation des processus.
L'architecture du décret révèle une ingénierie juridique particulièrement élaborée. Les cas de dispense, strictement encadrés, s'articulent autour de cinq situations principales : la couverture par le régime obligatoire du conjoint (estimée à 15% des agents), les contrats de très courte durée (moins de 3 mois), les agents en fin de carrière (moins de 6 mois avant la retraite), les situations de cumul d'emplois publics, et les cas de maintien temporaire d'une couverture antérieure.
Prenons l'exemple pratique d'une enseignante contractuelle dont le conjoint travaille chez Airbus et bénéficie d'un régime de prévoyance couvrant les ayants droit. Elle devra fournir à son service RH une attestation de l'employeur de son conjoint précisant le niveau de garanties dont elle bénéficie. Le service RH disposera alors de 30 jours pour instruire la demande et vérifier que les garanties sont au moins équivalentes à celles du contrat collectif de l'État. Cette procédure, qui peut sembler complexe, vise à éviter les situations de sous-couverture tout en respectant le libre choix des agents.
Le décret innove particulièrement sur la portabilité des droits. Un agent placé en disponibilité pour création d'entreprise pourra maintenir ses garanties pendant 12 mois moyennant le paiement intégral de la cotisation (parts agent et employeur). Cette disposition, directement inspirée de l'ANI de 2013 dans le secteur privé, sécurise les parcours professionnels de plus en plus diversifiés des agents publics. Les projections indiquent que cette mesure pourrait concerner annuellement 25 000 agents en situation de mobilité externe temporaire.
L'application immédiate du décret au 28 mai 2025 impose aux DRH un calendrier de déploiement particulièrement serré. L'expérience du ministère des Armées, qui a expérimenté dès 2023 un dispositif pilote auprès de 50 000 agents, offre des enseignements précieux. Leur retour d'expérience met en évidence cinq facteurs clés de succès : la constitution d'une task force dédiée (10 ETP pendant 6 mois), l'investissement dans un système d'information adapté (budget moyen de 500 000 euros), la formation intensive des gestionnaires RH (3 jours minimum), la mise en place d'un dispositif d'accompagnement multicanal, et un plan de communication segmenté par catégories d'agents.
Concrètement, les DRH devront orchestrer plusieurs chantiers simultanés. Le premier concerne l'affiliation automatique de 2,1 millions d'agents ne bénéficiant d'aucune dispense. Cela nécessite une extraction des données SIRH, leur fiabilisation (l'audit de la Cour des comptes de 2023 pointait un taux d'anomalie de 12% dans les bases), et leur transmission sécurisée à l'organisme assureur retenu. Le deuxième chantier porte sur l'adaptation des chaînes de paie pour intégrer le prélèvement des cotisations, estimées en moyenne à 35 euros mensuels pour l'agent et 70 euros pour l'employeur. Les services informatiques devront développer de nouvelles interfaces permettant le calcul automatique des cotisations en fonction de la rémunération et de la quotité de travail.
Un point de vigilance particulier concerne la gestion du stock des 800 000 agents bénéficiant déjà d'une couverture individuelle ou collective facultative. Ces agents devront être informés individuellement des modalités de basculement, avec une attention spécifique aux éventuels doublons de couverture et aux démarches de résiliation à entreprendre. Le ministère de l'Intérieur, qui a modélisé ce processus, estime à 6 mois le délai nécessaire pour traiter l'intégralité de ces situations particulières.
L'onde de choc provoquée par ce décret dépasse largement le périmètre de la fonction publique d'État. Les premières réactions des associations d'élus locaux et des fédérations hospitalières témoignent d'une pression croissante pour un alignement rapide. L'Association des maires de France a d'ores et déjà commandé une étude d'impact financier, estimant à 1,2 milliard d'euros le coût annuel d'une généralisation du dispositif aux 1,9 million d'agents territoriaux.
Plusieurs grandes collectivités anticipent déjà cette évolution. La Métropole de Lyon, pionnière en la matière, a lancé en janvier 2025 une négociation avec ses 9 000 agents pour transformer son régime facultatif actuel (45% d'adhésion) en régime obligatoire dès 2026. Le Conseil régional d'Occitanie étudie un schéma similaire, s'appuyant sur l'expertise du courtier Sofaxis pour modéliser les impacts financiers et sociaux. Ces initiatives locales préfigurent une généralisation qui pourrait s'opérer par étapes : d'abord les grandes collectivités (plus de 350 agents), puis les collectivités moyennes, et enfin les petites communes via des mécanismes de mutualisation portés par les centres de gestion.
Dans la fonction publique hospitalière, l'urgence est encore plus criante. Le taux de couverture prévoyance n'y dépasse pas 35%, alors que les risques professionnels y sont particulièrement élevés (taux d'absentéisme de 10,3% contre 7,8% dans la FPE). La Fédération hospitalière de France milite pour une mise en œuvre accélérée, proposant un calendrier en trois phases : négociation d'un accord-cadre national (fin 2025), expérimentation dans 50 établissements pilotes (2026), et généralisation progressive (2027-2028). Cette stratégie s'appuie sur le précédent réussi du compte épargne-temps, déployé selon une méthodologie similaire entre 2002 et 2005.
Le décret du 27 mai 2025 ne constitue pas une simple évolution réglementaire mais une véritable révolution culturelle dans la conception de la relation employeur-agent au sein de la fonction publique d'État. Pour les DRH, ce texte ouvre une séquence stratégique sans précédent qui combine défis opérationnels immédiats et opportunités de transformation durable. La réussite de cette réforme repose sur leur capacité à mobiliser l'ensemble de la chaîne RH autour d'un projet fédérateur, tout en maintenant un haut niveau de qualité de service durant la phase de transition.
Les six prochains mois seront déterminants. Les retours d'expérience des premiers ministères à avoir finalisé le déploiement serviront de références pour l'ensemble de la fonction publique. Au-delà des aspects techniques, cette réforme pose les fondations d'un nouveau modèle social public, où la protection des agents devient un avantage compétitif dans la guerre des talents qui s'intensifie. Les DRH qui sauront transformer cette contrainte réglementaire en levier de modernisation et d'attractivité prendront une longueur d'avance décisive.
L'histoire retiendra probablement ce décret comme le point de départ d'une harmonisation progressive mais inéluctable des régimes de protection sociale complémentaire dans l'ensemble de la fonction publique. Les DRH ont aujourd'hui entre leurs mains les clés pour faire de cette transition un succès exemplaire, démontrant ainsi la capacité de la fonction publique à se réformer en profondeur tout en préservant ses valeurs fondamentales. Le défi est immense, mais l'enjeu – garantir une protection sociale digne et équitable à tous les serviteurs de l'État – justifie pleinement cette mobilisation exceptionnelle.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
Contact naudrhexpertise@gmail.com
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