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Dans la fonction publique territoriale, la mutation interne est un outil stratégique à la disposition de l'autorité territoriale pour adapter les ressources humaines aux besoins du service. Elle vise à répondre aux impératifs d'organisation tout en tenant compte, dans la mesure du possible, des compétences et aspirations professionnelles des agents. Toutefois, certaines situations conflictuelles posent des questions sensibles. Que se passe-t-il lorsqu’un agent refuse de rejoindre son nouveau poste ? Peut-il continuer à se présenter sur son ancien lieu d’affectation, en dépit des rappels à l’ordre de l’administration et même de l’intervention des forces de l’ordre ?
I. L’arrêt du Tribunal administratif de Melun (n° 2300365 du 15 mai 2025) : un exemple significatif
Dans cette affaire, un fonctionnaire territorial a été affecté, par décision de mutation interne, à un nouveau poste au sein d’un autre service. Refusant catégoriquement cette nouvelle affectation, l’agent a continué à se rendre quotidiennement sur son ancien lieu de travail. Il a même réussi à déjouer les dispositifs de sécurité mis en place pour lui en interdire l’accès.
Malgré plusieurs mises en demeure, un accompagnement individualisé par les services RH, ainsi que des interventions d’élus et de la police municipale, l’agent a persisté dans son refus. Face à cette situation de blocage, l’autorité territoriale a engagé une procédure disciplinaire.
Le tribunal a rejeté les arguments de l’agent fondés sur le non-respect de ses préférences professionnelles. Il a rappelé que l’autorité territoriale détient le pouvoir d’organiser les services et que, dès lors que la mutation n’entraîne ni régression de carrière ni changement de résidence administrative et demeure dans le cadre d’emplois de l’agent, elle peut être imposée sans son accord.
Le comportement de l’agent, qualifié de refus d’exécution des ordres de service et de perturbation manifeste du bon fonctionnement de l’ancien service, a été jugé constitutif d’une faute disciplinaire grave.
II. Jurisprudences convergentes confirmant le pouvoir de l’employeur territorial
La position du Tribunal administratif de Melun s’inscrit dans une jurisprudence administrative bien établie. Ainsi, le Conseil d’État a jugé, dans son arrêt du 4 juillet 2007 (n° 279154), que l’autorité territoriale peut imposer une mutation interne sans le consentement de l’agent, à condition qu’il n’y ait ni changement de résidence administrative ni modification substantielle des fonctions.
De plus, dans un arrêt du 27 avril 2011 (CE, n° 312026), la haute juridiction a validé une sanction disciplinaire à l’encontre d’un agent ayant refusé de rejoindre son nouveau poste, en précisant que ce comportement constitue une violation du devoir d’obéissance hiérarchique.
Enfin, dans une décision du 26 février 2015 (TA Versailles, n° 1405396), le juge administratif a indiqué que ni l’ancienneté de l’agent ni ses préférences personnelles ne pouvaient justifier un refus de mutation, dès lors que celle-ci est motivée par les nécessités du service.
III. Recommandations pratiques pour les DRH : anticiper et sécuriser les décisions de mobilité
Dans ce contexte, les directions des ressources humaines doivent conjuguer rigueur administrative et pédagogie. Pour prévenir et gérer les cas de refus de mutation, il est recommandé d’adopter les pratiques suivantes :
-Motiver de manière circonstanciée les décisions de mutation (réorganisation, vacance de poste, montée en compétence, etc.) ;
-Organiser un dialogue avec l’agent concerné : entretien de mobilité, accompagnement personnalisé, accès à la formation ;
-Rédiger et notifier formellement la décision d’affectation, en assurant la traçabilité des échanges ;
-En cas de refus, rappeler par écrit les obligations statutaires de l’agent et envisager une mise en demeure avant toute mesure disciplinaire.
Ces recommandations doivent s’inscrire dans une stratégie globale de gestion de la mobilité. L’éventuel recours aux forces de l’ordre ne peut être envisagé qu’en dernier ressort, lorsqu’il s’agit de préserver la sécurité des agents et la sérénité des locaux.
Le refus d’un agent territorial de rejoindre son nouveau poste dans le cadre d’une mutation interne constitue une entorse à ses obligations professionnelles. La jurisprudence, ancienne comme récente, confirme que l’autorité territoriale dispose d’une légitimité à organiser la mobilité fonctionnelle, à condition de respecter les droits statutaires. Pour les DRH, l’enjeu est de conjuguer fermeté dans l’application des règles et accompagnement individualisé des agents, afin d’éviter l’escalade conflictuelle et de sécuriser les parcours professionnels.
Avis www.naudrh.com : le jugement du Tribunal administratif de Melun vient renforcer la lisibilité des règles applicables aux mutations internes. Il souligne l’importance pour les employeurs publics de s’appuyer sur une gestion rigoureuse et documentée, tout en rappelant que la mobilité ne peut se construire sans un minimum de dialogue et de préparation. C’est une décision utile pour sécuriser les démarches des DRH tout en responsabilisant les agents sur leur devoir d’obéissance hiérarchique.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
Contact naudrhexpertise@gmail.com