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Depuis le 1er mars 2025, la rémunération des agents de la fonction publique territoriale placés en congé de maladie ordinaire (CMO) a été modifiée. Désormais, durant les trois premiers mois d’un arrêt, les agents publics, qu’ils soient titulaires ou contractuels de droit public, ne perçoivent plus leur traitement à 100 %, mais à hauteur de 90 %. L’objectif de cette réforme est de contenir l’impact financier de l’absentéisme tout en maintenant un soutien partiel aux agents. Le dispositif conserve cependant le jour de carence déjà en vigueur pour le premier jour d’arrêt, et laisse inchangée la rémunération à demi-traitement au-delà des trois mois.
Des conséquences imprévues dues aux retards informatiques
Toutefois, la mise en œuvre technique de cette réforme par les prestataires des logiciels de paie a pris du retard. Conséquence directe : de nombreux agents ont continué à percevoir 100 % de leur traitement durant les trois premiers mois de leur arrêt, contrairement aux nouvelles dispositions. Une fois les logiciels mis à jour, ces agents ont été sommés de rembourser le trop-perçu, ce qui, pour un traitement mensuel net de 2 000 euros, représente environ 600 euros par mois pendant trois mois, soit un total de 1 800 euros à restituer, représentant parfois plusieurs centaines ou milliers d’euros.
Un risque financier injuste pour les agents
Ce risque est d’autant plus préoccupant qu’il est totalement imprévisible pour l’agent. N’ayant ni la main sur les paramétrages informatiques ni la visibilité sur les délais d’application des réformes, il lui est impossible d’anticiper ou de corriger lui-même l’erreur. Les sommes perçues sont souvent déjà engagées dans les dépenses courantes du foyer. Le remboursement postérieur peut donc provoquer une véritable détresse financière, voire un risque de surendettement.
Ce sentiment d’injustice est renforcé par le fait que la responsabilité de l’application correcte de la réforme incombe exclusivement à l’administration et à ses prestataires. Faire supporter aux agents les conséquences d’un dysfonctionnement administratif revient à introduire une insécurité financière incompatible avec les principes de protection des agents publics.
Quelles réponses pour les employeurs publics ?
Face à cette problématique, les employeurs territoriaux disposent de deux leviers d’action principaux :
Il est possible de renoncer à recouvrer le trop-perçu, notamment lorsque l’erreur résulte uniquement de l’administration et que l’agent pouvait légitimement croire à la régularité de sa paie. Cette option s’appuie sur les principes d’équité et sur une jurisprudence qui tolère l’annulation de créances dans certains cas exceptionnels, notamment lorsqu’aucune faute n’est imputable à l’agent. À ce titre, on peut se référer à la circulaire du 21 février 2011 relative au recouvrement des trop-perçus dans la fonction publique , ainsi qu’à l’avis du Conseil d’État n° 387763 du 27 mars 2015, qui porte sur la récupération d’un indu dans le cas d’une erreur non imputable à l’agent, sans manœuvre frauduleuse de sa part. Toutefois, elle exige une instruction individualisée et une décision explicite de l’employeur.
Si l’exonération n’est pas envisageable, il convient au minimum de proposer un échéancier souple permettant de lisser la charge financière. Cette solution limite l’impact immédiat sur le budget de l’agent. En pratique, l’échelonnement du remboursement peut s’étendre sur plusieurs mois, généralement entre trois et douze mois selon le montant dû et la situation personnelle de l’agent. Un dialogue individualisé avec le service RH est indispensable pour adapter la durée et le rythme des retenues à la capacité de remboursement de l’agent. En revanche, elle peut fausser les déclarations de revenus transmises à l’administration fiscale, ce qui peut entraîner des régularisations futures complexes et pénalisantes.
Anticiper, expliquer et protéger
Dans tous les cas, la transparence est une exigence. Les directions des ressources humaines doivent anticiper ces situations en informant en amont les agents, en assurant un accompagnement humain et financier individualisé, et en adaptant les processus de traitement des anomalies. Il est également fondamental d’alerter les élus sur la nécessité de contraindre les prestataires de paie à des calendriers réalistes et fermes. À cet effet, les employeurs publics peuvent s’appuyer sur des clauses contractuelles précises relatives aux délais de mise en œuvre des évolutions réglementaires, assorties de pénalités en cas de retard. Des audits réguliers de conformité logicielle ou l’intégration d’indicateurs de performance dans les contrats de prestation peuvent également renforcer l’exigence de réactivité.
Si cette réforme poursuit un objectif de rationalisation budgétaire, elle ne doit pas générer de déséquilibres personnels pour les agents, surtout lorsque ceux-ci ne sont pas responsables des dysfonctionnements rencontrés. Il est du devoir de l’administration territoriale de garantir une mise en œuvre technique fiable et rapide des réformes qu’elle porte, sous peine de compromettre la confiance des agents envers leur employeur public.
Avis www.naudrh.com : cette situation illustre une faiblesse structurelle récurrente de la fonction publique territoriale, il s'agit de l’insuffisante articulation entre réglementation et outils informatiques. Il est urgent que les DRH, en lien avec les élus, exigent des engagements fermes de la part des prestataires en matière de délais et de qualité. Faute de quoi, les agents continueront de subir les contrecoups d’un système qui ne leur laisse ni marge de manœuvre ni possibilité de contestation immédiate.
Par Pascal NAUD
Président www.naudrh.com
Contact naudrhexpertise@gmail.com