Pascal NAUD
Président de l'association www.naudrh.com
Editorialiste statutaire
Contact pascal.naud3@wanadoo.fr
La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 portant transformation de la Fonction Publique impacte fortement les employeurs et les agents de la Fonction Publique Territoriale (FPT) puisque 65 des 95 articles de cette loi concernent directement ce versant de la Fonction Publique. De nombreux domaines de gestion sont concernés: instances de dialogue social, cadre déontologique, recours aux contractuels, discipline, mobilité, égalité professionnelle ou encore parcours professionnels des personnes en situation de handicap...
Cette importante réforme pourrait laisser à penser que jusqu'a présent la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale avait été laissée dans l'immobilisme le plus total depuis sa publication. Ce n'est évidemment absolument pas le cas, car la loi du 26 janvier
Alors pourquoi une nouvelle réforme ? Sans rentrer dans des débats métaphysiques, je ne peux que constater que la loi n° 2019-828 du 6 août
Dommage également que la loi demeure silencieuse sur les missions des DGS, sur la reconnaissance des catégories A+, sur la codification législative du devoir de réserve ou sur le droit à la déconnexion. L'instauration de certaines mesures telles que l'indemnité de précarité, la rupture conventionnelle ou la formation obligatoire au management auront également un impact financier non négligeable pour les employeurs publics mais il y a aucune communication à ce jour des coûts que cela va engendrer, c'est peut être normal dans une époque où les employeurs publics locaux doivent contractualiser avec l'Etat pour maîtriser leurs dépenses de fonctionnement dans la limite de 1,2 %...Mais c'est une mauvaise pensée de ma part.
C'est aussi une mauvaise pensée sans doute de voir dans certaines mesures techniques nouvelles, comme la présentation obligatoire une fois par an devant les assemblées délibérantes du rapport social unique, la volonté d'instituer un débat politique nouveau et réel sur les questions de personnel qui jusque là, il faut bien le dire, ne suscitait pas forcément de grandes discussions. La communication obligatoire d'éléments techniques nouveau en matière de gestion des ressources humaines favorisera sans aucun doute les débats politiques, parfois non effectifs sur les questions de personnel. C'est un peu ce qui a déjà été vécu dans le domaine des finances avec l'introduction obligatoire progressive des débats d'orientation budgétaire, qui se conçoivent désormais comme un outil pédagogique associant la majorité et l’opposition.
La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 peut aussi sembler paradoxale dans sa rédaction. Je pense en particulier au dialogue social largement réaffirmé alors qu'en parallèle un certain nombre de dossiers ne seront plus soumis à avis des Commissions Administratives Paritaires (CAP). Le plus emblématique d'entre eux est sans nul doute la suppression des avis de CAP pour les avancements de grade et de promotions internes. Ne doit on pas y voir là un affaiblissement de la carrière des agents avec la remise en cause du principe d'égalité de présentation de tous les dossiers des agents éligibles à avancement devant les CAP compétentes ? C'est sûrement le prix à payer pour le recentrage des compétences des CAP sur les décisions défavorables.
La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 portant transformation de la Fonction Publique fait également la part belle aux agents contractuels en oubliant de réaffirmer la priorité de recrutement des fonctionnaires sur les emplois permanents...Je n'aime pas non plus la veille idée qui perdure dans cette loi selon laquelle les hautes fonctions de direction dans la Fonction Publique Territoriale ne pourrait être occupée avec efficacité que par des agents extérieurs à la FPT souvent issus du secteur privé...Les potentiels sont pourtant nombreux dans la Territoriale, toutes catégories hiérarchiques confondues. Et que dire de la volonté clairement affichée de créer un statut pour les contractuels, qui se heurtent pourtant à une complexité sans précédent des nouvelles règles à appréhender pour ces agents. Objectivement, on a du mal à avoir une vision exhaustive simplifiée des règles de gestion de ces agents, ce qui me semble aller à l'encontre de l'objectif de simplification affiché de gestion des ressources humaines.
En matière de rémunération, une avancée aurait pu aussi être constituée par la levée de la marotte qu'un fonctionnaire territorial ne peut pas percevoir un régime indemnitaire supérieur au montant maximum que celui prévu pour ses collègues de l'Etat (pour une même catégorie hiérarchique de référence). Je reste également dubitatif sur la suppression de l’obligation faite aux employeurs publics locaux de nommer en tant que fonctionnaire stagiaire un agent contractuel admis à un concours ou sur la possibilité de recruter des contractuels sur des emplois à temps non complet inférieurs à 50 % du temps complet. Ces deux mesures vont dans le sens d'une précarisation des situations des carrières des agents. D'ailleurs concernant le recrutement de contractuels sur des emplois à temps non complet inférieurs à 50 % du temps complet, il me semble que c'est plutôt mieux d'augmenter la durée de travail des agents à temps non complet déjà en activité pour leur faire atteindre le seuil d'affiliation CNRACL...
Concernant l'instauration de l'indemnité de précarité à compter du 1er janvier 2021, et dont les modalités d'application seront présentées devant le Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale début 2020, un aspect important a selon moi oublié d'être cadré. En effet pour percevoir l'indemnité de précarité, la rémunération brute globale prévue dans les contrats éligibles devra être inférieure à un plafond fixé par décret. Mais qu'est ce qui empêchera un employeur, pour maîtriser sa masse salariale par exemple, de prévoir pour les contrats éligibles une rémunération brute globale égale ou juste supérieure au plafond fixé par décret, ce qui empêcherait le versement de l'indemnité de précarité...Mais c'est encore une mauvaise pensée de ma part, je pense.
En matière disciplinaire, la suppression des conseils de discipline de recours c'est quelque chose aussi. Dans la réalité de gestion, c'était quand même l'instance où souvent les avis des conseils de discipline de premier ressort était régulièrement déjugée en faveur des agents territoriaux...Bon, ils pourront toujours saisir le tribunal administratif compétent pour leur défense avec la longueur de temps d'instruction qui va bien...
Dans un autre domaine de gestion, le partage du supplément familial de traitement (SFT) en cas de garde alternée sur demande conjointe des parents ou en cas de désaccord sur la désignation du bénéficiaire est inscrit dans le statut général. C'est bien, plusieurs tribunaux administratifs s’étaient prononcés dans le même sens malgré l’absence de fondement légal, mais la loi n'aurait elle pas pu se pencher également sur la nécessité d'atténuer la logique nataliste d’un dispositif obsolète dont le calcul qui comprend une part fixe et une part variable proportionnelle au traitement des agents qui est décrié depuis longtemps.
Pour les reclassements, je m'attendais à la prise en compte d'une dimension plus humaine des situations avec une vision différente de l'avenir des agents qui, dans la plupart des cas se sont investis pleinement de nombreuses années pour le service public, et la seule solution qui leur est encore proposé lorsqu"ils sont "en bout de course", c'est le départ forcé. La notion d'usure professionnelle manque encore de précisions pour être pleinement accompagnée.
Enfin, je prends acte de la fin des dérogations à la durée hebdomadaire de travail de 35 heures dans la fonction publique territoriale (1 607 heures). Mais quelle sera la sanction à laquelle s'expose un employeur public qui ne se met pas en conformité avec cette règle à la fin du délai imparti (1 an après le renouvellement des assemblées délibérantes) ?. Ce n'est pas précisé. Sur un autre plan, la loi ne bat pas clairement en brèche le principe français que "l'ancienneté fait le chef". On aurait pu tendre peut être vers ce que font nos amis Anglo-Saxons, à savoir que c'est la valeur technique et le potentiel, indépendamment du critère de l'âge, qui peuvent également permettre l'accès aux responsabilités.
La loi 2019-828 du 6 août 2019 acte de l'abandon d'une fonction publique de carrière. Pour mémoire, le système de la carrière repose sur la séparation du grade et de l'emploi, ce titre restant acquis à l'agent indépendamment des postes occupés. En cas de perte d'emploi, la "prise en charge" par le centre de gestion ou le CNFPT assurait une continuité de carrière dans l'attente d'un autre poste, ce que supprime cette loi qui prône un retour à l'emploi. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer à ce sujet que ce nouveau dispositif, revient au mode de gestion des emplois communaux en 1952 et opte pour une gestion proche du "projet personnalisé d’accès à l'emploi" des chômeurs.
La loi 2019-828 du 6 août 2019 signe un retour à une fonction publique de l'emploi combiné à un élargissement du recrutement des contractuels. Elle dessine, à moyen terme, l'abandon d'un système de fonction publique territoriale construit sur des concours avec une garantie de carrière et de mobilité au profit de système de contrats, qui dispose lui-même d'une forme de mobilité en CDI, auquel il manque sans doute un accès direct au CDI et une carrière offrant de véritables perspectives professionnelles. Si ce schéma, dans lequel agent et employeur peuvent voir davantage de souplesse et d'opportunités, se vérifiait, la loi aurait fait de la fonction publique territoriale le laboratoire d'un nouveau mode de gestion des agents publics.
Voila les premiers éléments de réflexion que m'a inspiré la lecture de cette loi. Ils ne prennent bien entendu pas en compte toutes les nouvelles dispositions prévues, mais je tenais à les partager avec vous afin de contribuer modestement et à mon niveau au débat public sur la transformation de la Fonction Publique Territoriale.
Pascal NAUD
Président de l'association www.naudrh.com
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